mercredi 9 décembre 2009

Interview ERROR 404 (à paraître dans CAFZIC)

ERROR 404 « S/t » (Cctv records)

Error 404 est un sacrée bonne surprise au coeur puissant, à l'intense démonstration de force, sans beuglements et autres orchestrations hardcoresques. En écoutant cet univers hirsute j'ai entendu partiellement des sonorités Stoogiennes, du Thugs, du Ride, du Husker Dü, du Mudhoney et pas mal d'autres choses des années 90 que j'entrevoyais dans la filière Inrocks version Lenoir période fac bordelaise pour moi. Un peu gras, un peu strident, l'esprit me plait. Frondeuses et carnassières les mélodies de temps à autres un peu bancales se révèlent intenses. Pour compléter cette chro je viens de lire la petite info accompagnant le disque, il semblerait que ce groupe soit à géométrie variable, bref, un seul membre fixe et les autres qui circulent, un enregistrement sur une journée et sans répétition préalable, d'où certainement le côté bancal mais frais, les déséquilibres entre instruments or c'est justement là où c'est excellent et différent, je me penche sur le projet dans les prochains jours... (NqB)


Quelques questions...

Comme je l’écris dans la chronique...j’entends des « choses » dans votre son...est-ce que je me trompe ? Est-ce que certaines vous choquent ? Qu’y rajouteriez-vous ?

Les Stooges, Mudhoney, Husker Dü, complètement, mais juste au niveau de la philosophie générale du son. Ce qui nous intéressait c’est de faire du dumb rock, d’aller direct à l’essentiel. Un truc un peu radical, car je trouve que le côté brut est ce qu’il y a de plus honnête. Si tu dis un truc odieux avec des fleurs, ça reste pas très positif, là on a choisi de faire coller le son au propos général. On parle de complot, de trucs secrets, etc, c’est plus logique d’en parler avec un son de micro planqué dans les plinthes qu’avec un son gonflé de reverb ou un orchestre philarmonique. Husker Dü, les Wipers, Mudhoney, les Misfits, le Black Flag de l’album Damaged, LAMF de Johnny Thunders, ce sont des sons bruts qui me parlent et qui laissent penser aux kids qu’ils peuvent le faire aussi. C’est comme ça que ça a marché pour moi en tout cas. Les grosses productions, les sons travaillés, ça met une certaine distance entre l’artiste et l’auditeur, je trouve ça désagréable comme posture.

Les Stooges donc, grosse influence. Mudhoney pour l’invention de ce son si crade. Jack Endino, le producteur, les a supplié tout l’enregistrement de Superfuzz de choisir un autre son. Longtemps pourtant c’est lui qu’on a crédité de l’invention du grunge. Là, à notre niveau, c’est pareil, il a fallu que je me batte pour garder ce son brut. Le mastering, ça a été une lutte psychologique eh eh. Parce que bon, c’est très assumé. On a eu des critiques dernièrement qui nous faisaient passer pour un groupe stupide enfermé avec un 4-pistes cassette, mais c’est un peu plus creusé que ça. Niveau influence, après, c’est très américain. Fu Manchu, les Ramones, Nebula, Turbonegro, tous ces trucs de dumb rock.

Quelles connections entre Error 404 et d’autres groupes bordelais ?

Il y a le batteur et le guitariste/clavier d’Antena Tres, qui tient ici la basse et s’est occupé de l’enregistrement. Il y a aussi le guitariste lead de Pitsky et Up Yours.

Error 404 est un projet éphémère ou a t-il vocation à perdurer et si oui sous quelle forme ? et d'ailleurs quel était le projet de départ ?

A la base, j’étais frustré de la structure traditionnelle d’un groupe. Là, je voulais que ce projet me suive à vie. Si dans 15 ans, j’achète une pipe et un rocking chair, que je fais du bluegrass, je peux garder le même nom. Ca c’est l’extrême, mais si demain on passe à trois ou à 6, je ne vois pas la nécessité à chaque fois de changer de nom de groupe et de chansons. Perdurer, oui pas trop d’inquiétude du coup, et sous la forme qui sera celle du moment. Mon rêve c’était de sortir un 45 tours tous les 5 ou 6 mois comme à l’époque du rockab et plus tard du punk, mais c’est compliqué. Alors un EP tous les ans, ça fera le job. Il n’y a pas plus de plan que ça. Le projet de départ était de s’amuser avec une idée de nerd, loin de la hype de la nouvelle scène qui laisse pas mal de gens de coté, c’est dommage. A la base, la musique c’est un truc populaire, un truc pour te changer les idées, pour évacuer les frustrations. Si c’est pour en créer de nouvelles…

On a enregistré ce EP en un jour, avec des morceaux qu’on n’avait pas répété avant. « 60 bpm », la dernière chanson du disque, on ne l’a joué qu’une seule fois sans plan pré-établi, un vrai jam dans le pur style stoner. J’avais vraiment envie qu’on expérimente, à notre niveau, l’esprit des Desert Sessions de Josh Homme. En fait, c’est beaucoup plus de boulot, je le savais pas ça.

Sur le myspace dans la rubrique « influences » il y a un listing un peu surprenant on y voit autant des groupes musicaux que de trucs bizarres du genre la Stasi, La Cia, etc…quel est donc ce curieux concept ? ? ?

C’est vrai qu’au premier abord, ça fait élitiste, j’imagine. J’aime pas trop parler de « concept ». On est plus proches de Green Jelly ou de Spinal Tap que d’Emerson, Lake et Palmer et Genesis quand même. C’est pas du comedy rock non plus, parce qu’on fait que des paroles pince-sans-rire et que personne ne les comprend de toute façon. Le truc, c’est qu’on est une génération qui a vécu Space Invaders, les jeux de rôles, les séries TV de science-fiction cheapos, un peu tout ça en même temps. On voulait juste que l’idée générale soit suffisamment riche pour que tout le monde y trouve son compte. Le fait que la musique soit le versant le plus bâclé du projet, c’est un paradoxe que je trouve assez drôle. Pour les références bizarres dans les influences, c’est un peu la synthèse de ça. J’ai grandi au milieu des comics, des jeux vidéos, de montagnes de disques et de films, des documentaires sur tout. Au bout du compte, comme je suis monomaniaque, j’ai un peu de mal à faire le tri et je ne sais pas si Hunter Thompson m’a moins influencé que les Stooges, si la Quatrième Dimension est moins présente dans ma tête que les documentaires sur l’assassinat de Kennedy, quand j’ai un truc qui vient. N’étant pas un « musicien » pur jus, je pars d’idées globales et je pense donc que tout ça compte plus ou moins autant. Après bon, CIA et Stasi, c’était pour m’adapter au « concept » du groupe. Rien de très élitiste, tu vois.

Idem dans l’étonnement, je lis sur myspace: similaire à « Your life on a tape, your file on a shelf “ ? ? ? Je veux des explications !

C’est une phrase qu’on a mise dans la chanson « Drink Booze, Think Loose ». J’aime beaucoup ce genre d’écho phonétique quand j’écris des paroles, et cette phrase a un double sens. C’est d’abord une référence à la Stasi : ils écoutaient les gens en Allemagne de l’Est, archivaient ça dans des dossiers, les rangeaient sur des étagères. A la chute du mur, beaucoup ont pu découvrir leurs vies, ou une partie, en 4 ou 5 tomes.

C’est aussi une référence à ma génération qui a grandi dans la pop culture et son explosion. Les heures à faire les mixtapes pour ses potes, les disques, les bouquins, les DVDs … Ironiquement, toute une partie de notre vie se trouve aussi sur nos étagères.

John Doe ? ! ? Qui est ce curieux personnage « central » ?

John Doe, c’est le nom sous lequel les anglophones placent les gens « sous X », que personne ne réclame. On voulait vraiment lutter contre les egos qui tuent les groupes. Etre « personne », c’est sacrément bien. Les gens regardent ce que tu fais, et pas d’où tu viens, qui tu es ou ce que tu as fait avant. C’est le projet qui est important, pas le contraire. Ca, c’est un peu le fléau de la musique aujourd’hui. Les gars ont un groupe parce que c’est un accessit underground, un truc du genre. Pas parce qu’ils ont des idées, le plus souvent. C’est dommage. On voulait revenir à la base. Les groupes ont perdu le fun, c’est beaucoup de hype et de paraître aujourd’hui, sans jouer les vieux gars. Quand on dit qu’il n’y a qu’un seul membre fixe dans Error 404, c’est vrai mais je ne réfléchis pas comme ça. C’est un vrai travail de groupe. On remet tout à zéro à chaque fois, c’est tout. Chacun a carte blanche et fait vraiment ce qu’il veut. Mais le truc de qui fait quoi, c’est vraiment pas très important. Dans Star Trek, tout le monde sait qui est Spock, même s’il n’existe pas, mais tout le monde se fout de qui a tenu la caméra ou écrit les dialogues. Bref, anonymat contre les egos et turnover contre la routine. Le plus drôle en fait, ce serait qu’un jour, 4 gars complètement différents montent sur scène et jouent les morceaux.

Error 404 ça signifie quoi déjà ? Quel rapport avec la zique du « groupe » ?

Error 404, c’est cette page internet sur laquelle tu es dirigée quand la page que tu demandes n’est plus accessible. J’étais parti de l’idée qu’en fait, c’était pas vrai, c’était simplement qu’ « on » nous cachait quelque chose. Tu veux savoir un truc, tu n’arrives pas à l’info et on te file juste une page formatée pour te le dire. Je trouve que ça résume plein de trucs, tant dans la S-F que dans la vraie vie. Ca évoque tout ce truc du complot, par extension le 1984 de George Orwell, ça correspondait bien. Voilà le rapport. C’est toujours difficile de trouver un nom de groupe et je trouvais que ça collait bien avec l’idée générale. On parle de culture nerd, de complots cheapos, de films de séries B… J’aurais appelé le projet Geranium, le lien était moins présent.

Error 404 m’a l’air d’être un projet dont je ne saisi pas tous les contours... " bizarres ", quelles questions… "bizarres" j’aurais d’ailleurs du vous poser pour mieux comprendre ? ? ?

Où vit Elvis aujourd’hui ? Parce qu’il est pas mort. Tu le sais hein ?

Non la question que personne n’a osé me poser depuis la sortie du disque, c’est « ça te fait pas chier que juste quand tu sors ton disque avec cette pochette qui tape à l’œil, the XX fasse un carton mondial avec la même pochette ? » … si.

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www.myspace.com/wearealljohndoes

Vous pouvez découvrir CAFZIC sur http://cafzic.oldiblog.com/

lundi 7 décembre 2009

BRING OUT THE DEAD # 2

LESTER BANGS
Psychotic Reactions & autres carburateurs flingués
Fêtes Sanglantes & mauvais goût
Tristram




« Je commence toujours une interview avec la question la plus insultante à laquelle je puisse penser. Parce qu’il me semble que tout le truc d’interviewer une rock star est très surfait à la base, et ça finit en léchage de bottes. Ce n’est qu’une révérence à plat ventre faite à des gens qui n’ont vraiment rien de spécial. C’est juste un mec, juste une autre personne, non ? »
Quand on évoque l’écriture gonzo, on pense surtout à Hunter S. Thompson, mais Lester Bangs en est sans doute le représentant le plus doué. Le gonzo ? Pas vraiment du journalisme, pas vraiment le travail d’un écrivain, pas vraiment la névrose bavarde d’un égo surdimensionné. Mais plus sûrement beaucoup des trois. Courageuses traductions françaises d’un style intraduisible, « Psychotic Reactions et autres carburateurs flingués » et le deuxième volume « Fêtes sanglantes et mauvais goût » sont les recueils des meilleurs articles de Lester Bangs, avec l’ajout de quelques curiosités, comme des bouts de nouvelles inédites. Mais c’est bien en tant que rock critic qu’il brille le plus, ne lui en déplaise, puisqu’il se décrivait lui-même comme « le meilleur écrivain américain à n’avoir rédigé que des critiques de disques ». Parues dans Rolling Stone, the Village Voice, the New Yorker ou Creem, elles sont le point de départ d’une écriture rock qui a poussé à l’ombre de la musique y attenant, prenant au moins autant d’importance qu’elle au fil des années. Aussi célèbre que les artistes qu’il côtoie, Bangs est un grand écrivain qui aurait négligé de s’enfoncer dans le snobisme pour garder cette ferveur toute adolescente. Une sensibilité à vif et une mauvaise foi assumée de fan de base, mais orchestrée à l’épique, genre saga ironico-tragique et question de vie ou de mort. S’inspirant de Burroughs et de la beat generation, son style rivalise avec le son et l’énergie du rock, son écriture est un mélange entre la distorsion de guitare électrique et une impro free-jazz ou psyché. Bangs n’a que faire des conventions journalistiques, des normes tout simplement. Ses articles, souvent impubliables par leur propos ou leur taille – certains papiers feront jusqu’à 30 pages - feront le bonheur de Creem qui laisse carte blanche à ses auteurs. C’est en prêcheur à la verve souvent hilarante qu’il signe des articles aux noms déjà répressibles, « sourd et muet dans une cabine téléphonique : une parfaite journée avec Lou Reed » ou « emmenez votre mère à la chambre à gaz » ou au postulat cintré, avec l’interview post-mortem de Jimi Hendrix.
« Je pense qu’on est tous rock critics, dans le sens où tu décides d’acheter ce disque plutôt qu’un autre quand tu vas dans un magasin. A ce moment là, tu es un rock critic. Je n’ai pas plus de légitimité que n’importe qui d’autre. »
Ces livres nous rappellent surtout que le fan est à la base de tout dans la musique. Les débats sans fin, passionnés, partisans et oniriques, vaudront toujours mieux que les débats mercantiles autour d’Hadopi et des maisons de disques. Hélas, Lester Bangs n’a pas de remplaçant. Ces recueils en sont d’autant plus indispensables.