jeudi 28 avril 2011

Manowar for dummies

La mort de Scott Columbus le 4 avril m’a fait ressortir mes CDs de Manowar. Le batteur jouait sur ce qu’il appelait les « drums of doom », un kit renforcé, en acier, car sa technique était trop violente pour les kits standards, qu’il fallait remplacer à une fréquence absurde. Si c’est pas vrai, on s’en tamponne pas mal, l’anecdote permet de comprendre où on met les pieds.



Bref, j’ai remis les CDs dans le lecteur. Plus que le besoin d’aller batailler à l’épée lourde contre des barbares anachroniques, ça m’a refait penser à mon adolescence heavy metal. J’avais envie d’en parler dans le blog, avec une ironie teintée d’affection, mais je n’ai jamais trouvé l’étincelle.

Puis cette étincelle est venue en deux temps ces derniers jours. D’abord, cette photo.



Je veux dire, tu ne peux pas rester sans rien écrire sur une photo comme ça. Un condensé de toutes les limites qu'a dépassé le groupe. Toutes rédhibitoires dans la plupart des cultures modernes.

Deuxième étincelle, ce matin. Je mets une sélection Manowar chuchotée à l’oreille par mon moi de 14 ans et file sous la douche. Louise à portée d’oreille me hurle alors : « non mais sans rire, ils sont bas du front ces mecs ».

Beh ouais !!

J’adore démonter les a priori dans ce blog, mais je ne peux rien pour Manowar. C’est assez fascinant de voir à quel point ce groupe sait aller plus loin que les a priori sans en avoir rien à foutre. Tu crois que c’est des relous ? Ils vont t’expliquer qu’ils sont de GROS relous. Tu penses qu’ils sont concernés par l’heroic fantasy ? Ils vont enfiler des peaux de bêtes et brandir des épées en mousse. Le groupe tombe dans le cliché « on y va à fond » du heavy metal teenager. Sans dérision, premier degré.

Le groupe naît juste après la sortie de Conan (1981), le film qui fait connaître Arnold Schwarzenegger. Trip héroic fantasy et peaux de bêtes. Le film fait un flop mais traumatise une poignée de gars. Certains se mettent aux jeux de rôles, d’autres soulèvent de la fonte du matin au soir. Les deux sont infréquentables.






Première ambiguité du groupe, il est très surprenant d’y voir Ross Funicello, le guitariste des Dictators, le groupe punk ’75 des grandes heures du CBGB avec Handsome Dick Manitoba, le chanteur-catcheur. J’imagine que si on avait une réponse claire à cette étrangeté, ça n’aurait plus d’intérêt et ça contribue donc au côté fascinant. Comme les Ovnis. Bref, des soli sans trop d’imagination, tous les symptômes de la branlette technico-acrobatique. Doigts 1 – mélodie 0.

La deuxième ambiguité sans réponse est la présence d’Orson Welles en tant que narrateur sur deux chansons : « Dark Avenger » en 1981 et « Defender » en 1987. Même réflexion que précédemment. C’est comme si Iggy Pop faisait partie de Slayer pendant que François Truffaut taillait la bavette en intro. Même si on n’accroche pas, ça peut intriguer.

Pour la ligne de conduite globale, on reste dans le même thème tout le temps : du métal épique et seuls contre le monde entier ! (PS : meufs = putes)

D’ailleurs on ne peut qu’applaudir le choix de Ken Kelly pour illustrer la plupart des pochettes d’albums. Le gars s’était fait connaître pour une passion abrutissante pour l’univers Heroic fantasy. Le mec tournait en boucle quand Kiss est venu le voir pour la pochette de Destroyer.



Ken a beaucoup d’imagination et quand Manowar vient le chercher, il leur sort une pochette complètement novatrice.



Ken Kelly se répète en fait beaucoup, beaucoup. Remarquez le goût avéré du dessinateur pour l’égalité des sexes.




Les mœurs avaient changé depuis Love Gun et il a fallu quelques ajustements pour éviter le comité de censure de Tipper Gore. Dans Spinal Tap, le groupe a aussi un problème de pochette pour son album Smell the glove où une femme est nue et à quatre pattes, tenue en laisse…

Ian Faith : They're not gonna release the album... because they have decided that the cover is sexist.
Nigel Tufnel : Well, so what? What's wrong with bein' sexy?
Bobbi : You put a « greased naked woman » on all fours with a dog collar around her neck, and a leash, and a man's arm extended out up to here, holding onto the leash, and pushing a black glove in her face to sniff it. You don't find that offensive? You don't find that sexist?
Ian Faith : This is 1982, Bobbi, c'mon!
Bobbi: That's right, it's 1982! Get out of the '60s. We don't have this mentality anymore.
Ian Faith: Well, you should have seen the cover they wanted to do! It wasn't a glove, believe me.

Pour l’album the Triumph of Steel (1992), ce bon vieux Ken Kelly détourne donc la menace en pliant la pochette :

Il y avait ça à la vue de tous dans les rayons :




A la maison, on pouvait déplier la pochette pour voir de quoi parlait KK :




Après 1988, Ross the Boss n’est plus là et Manowar embauche de vrais guitaristes typés métal. Game Over. Un pseudo-tripoteur à la Yngwie Malmsteen d’abord, puis un crypto beauf qui joue encore aujourd’hui.




En 2003, Manowar avait rassemblé sur cette chanson tous les musiciens qui avaient fait un jour partie du groupe. Trois guitaristes, trois batteurs. Le dernier refrain où tout le monde headbange n'aura jamais besoin d'être caricaturé. (Note: Ross the Boss est le guitariste à droite, avec une Gibson noire qui fait des moulinets à la Pete Townsend)

Manowar pose le vrai problème de l’attachement aux choses. Je vois ça comme un savant alignement entre des périodes données: de la musique, de la société et de nos propres vies.

Voilà pourquoi les fans de Manowar ont tous au moins 35 ans.



La minute littéraire

En fait, Ken n’est pas le seul à se répéter. Comme le disait le mec sur la photo du début, certains mots reviennent souvent.

Top 10 des mots dans les chansons de Manowar :

1. Metal

2. Steel

3. Fire

4. Battle

5. Fight

6. Sword

7. King

8. Blood

9. Brother

10. Kill

Ce sont parfois les paroles qui reviennent plusieurs fois.

Kings of Metal (1988)

Don’t try to tell us that we’re too loud

Because there ain’t no way that we’ll ever turn down

All Men Play on Ten (1984)

All men play on ten, never gonna turn down again

Metal Warriors (1992)

Got to make it louder, all men play on ten

Et l’inspiration se pioche dans un passé lointain. George Orwell parlait de réinventer son passé au mépris des souvenirs dans 1984. « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. » Bon, à part qu’Orwell n’aurait sûrement pas suggéré de calquer une des chansons les plus connues des fans pour accomplir son forfait.

Heart of Steel (1988)

Stand and fight
Live by your heart
Always one more try
I'm not afraid to die
Stand and fight
say what you feel
Born with a heart of steel

Call to arms (2002)


Fight for the kingdom bound for glory
Armed with a heart of steel
I swear by the brothers who stand before me
To no man shall I kneel
Their blood is upon my steel

Pour finir, car on ne peut décemment pas parler de paroles sans évoquer leur qualité, j’aimerais vous offrir un florilège des meilleures méditations de Manowar.

« Heavy metal or no metal at all. Whimps and posers, leave the hall »

Metal Warriors

« I need metal in my life just like an eagle needs to fly »

Die for metal

« The gods made heavy metal and they saw that it was good. They said to play it louder than hell, we promised that we would »

The Gods made heavy metal




« One Louder ! »


Toujours dans son délire teenager, jouer plus vite, plus fort … bref, jouer typiquement la musique qui rend fous les parents, Manowar s’est toujours fait un honneur de battre des records absurdes.


En 1984, le Guinness Book vient glorifier le groupe de « loudest performance ». 139 dB que le bouquin qualifie de « painfully loud ». Le groupe le dépasse une fois et le Guinness Book décide de supprimer cette catégorie pour ne pas inciter à la surenchère qui aurait pu mettre en danger le public. Juste pour rire, Manowar battra encore son propre record. Au cas où.


En 2008, après avoir apparemment cherché 24 ans une catégorie du Guinness qui pouvait leur convenir, le groupe a décidé de donner le « plus long concert de heavy metal » … Cinq heures et une minute, en Bulgarie.


Death to false metal !



vendredi 22 avril 2011

MP3 Vs. Musique

Article publié dans le Abus Dangereux # 118 // Mai 2011

En 2004, iTunes renonce à la vente de la chanson « Silence » de Sonic Youth. 63 secondes de pur silence. Le seul moyen d’obtenir le morceau était d’acheter l’album entier (NdR : the whitey album – 1988). Ecrire du silence est au moins aussi intentionnel qu’écrire une chanson sonore, semble-t-il. Le placement des micros devient peut-être un peu moins problématique. Cela pose surtout la question de la compatibilité entre culture d’album et format mp3. Par association d’idée tordue, cela pose la question de sa compatibilité avec la musique.



"Somebody was trying to tell me that CDs are better than vinyl because they don't have any surface noise. I said, "Listen, mate, life has surface noise." – John Peel

Eternel débat du support audio. L’évolution de celui-ci a influencé à la fois la façon de créer la musique et la façon de l’écouter. D’objet adulé quand on devait encore commander les 45 tours dans les années 60, et attendre pour les écouter, il a laissé la place à l’immédiateté interchangeable du mp3.

Même apologie du single. Même traitement intemporel de l’unité. L’avènement du mp3 l’a consacré comme le fils naturel du 45 tours, au moins dans l’esprit. Mais là où le 45 tours a amené le jukebox, le mp3 a engendré le iPod. La communauté contre le repli individuel.

Rappel vintage. Lancé par RCA en 1949, le nouveau format va changer jusqu’aux habitudes des radios où les DJs vont se l’approprier. En parallèle, les jukebox s’introduisent dans les bars, et touchent en plein cœur la culture adolescente. Début 1955, le 45 tours devient le support historique du rock’nroll et contribue à l’essor de la musique au sens moderne du terme. Les artistes ne raisonnent pas encore en albums et enregistrent chanson sur chanson pour meubler les tournées incessantes. Dans les années 70, le punk cherchera à revenir à cette spontanéité et fondera le mouvement sur le même format. Quand on n’a pas de futur, on prévoit sur le court terme.

Sam Phillips de Sun Records aurait-il été connu pour son travail d’orfèvre sur bande, ce son riche et chaud, si Elvis avait été voué à sortir des morceaux en mp3 ? Maintenant, du coup, on enregistre sur ordinateur et la barre espace est le détail le plus sexy de tout le « studio ».




C’est aussi le rôle de la musique qui a changé dans la société. Je veux dire, personne ne sort un disque en espérant devenir juste un prétexte cheap pour passer le temps dans le tramway. La musique est réduite à un échantillon quotidien d’entertainment pour la masse ou un bruit de fond dans une boutique fashion.

On parle partout de musique dématérialisée. L’écoute du vinyl est tout le contraire. On lit la pochette, on pose le vinyl sur la platine, on pousse le bras, la spirale se met à tourner, ça rape, ça cliquette. Il y a en fait tellement de bruits que l’écoute tourne au dialogue. Le mp3 est à portée d’un simple clic, sur un menu qui labellise tout ce qu’il ingurgite. L’abondance contre le précieux de la rareté, de l’unité qui compte. Un peu la différence entre offrir une rose à Paris Hilton et à cette fille qui n’en a jamais reçu auparavant.

On te vend le 320 kbps comme le luxe du mp3, la Rolls-Royce de la compression de fichier, l’argument qui réhabilite le support, mais le mp3 reste le cauchemar du format audio.




En fait, c’est surtout en terme d’identification que le mp3 a dévissé. Il y a tout le côté influence et perennité. Ton frère looké Robert Smith te passait un 45 tours dont la pochette allait influencer ta garde-robe des cinq prochaines années. Combien de cuirs rouge et noir se sont vendus après que Michael Jackson en ait fait sa pochette? Maintenant, ça se passe comment ? Par clé USB ? Ok, la mode Justin Bieber vient d’un buzz jpeg. Mais le teenager 45 tours voulait exister individuellement. Le teenager mp3 veut simplement appartenir au flux RSS du buzz de demain. Devenir un clone viral et ne pas décevoir en attendant d’avoir du goût.



A l’époque de la surface, il semble difficile de lancer une vague culturelle. Un mp3, un jpeg et une page wikipédia, pas très fiable si elle est courte, peu attractive si elle est longue, ne permettent pas de fédérer les kids. On se dirige soit vers le côté entertainment for dummies, soit vers un retour brutal vers les groupes locaux et le bac des auto-productions. Rétropédalage or bust.

Le but n’est pas de s’opposer au progrès, mais au fait qu’il semble s’accompagner d’une défection pour le contenu. Car s’il est aujourd’hui face au mp3, le vinyl a longtemps été opposé au CD.

Il ne s’agit pas de céder à une bonne vieille nostalgie. Le vinyl est souvent le raccourci de la lutte de l’indépendant contre le mainstream de supermarché, symbolisé par le CD ou le mp3. Eloge du beau contre la production commerciale. Ce serait pourtant une erreur de généraliser ce genre de propos puisque des labels très undergrounds s’appuient sur les CDs ou les cassettes sans dévoyer le propos.

La majorité de notre éducation musicale s’est de toute façon faite à l’aide de CDs. CDs dont on nous a servi quatre générations car la première était d’une qualité inavouable, éditée à la va vite pour que les gens rachètent tous leurs vinyls sur ce nouveau format. La deuxième, c’était du « oubliez ce premier CD, maintenant on prend le temps et on sort un son adapté » … ainsi de suite, jusqu’aux remasters et digipacks anniversaires. J’ai cinq versions différentes de Dark Side of the Moon en CD les mecs. Chaque fois, on m’a dit que je faisais le deal du siècle.

Le vinyl a laissé sa place au CD simultanément au fait que les disquaires ont laissé leur place aux grandes surfaces. Evolution de la musique ? Continuité du format audio ? On a pu noter le peu d’affectif envers l’objet, et le CD semble être le grand perdant de l’ère du téléchargement. Le vinyl se lit de l’extérieur vers le centre, le CD se lit dans le sens inverse. Freud y aurait vu un sacré symbole.



En juillet 2009, Apple (encore) a lancé une nouvelle section sur iTunes, les « 45 tours numériques ». L’idée est de vendre deux morceaux à un prix réduit, en reformant certains 45 tours célèbres. Par exemple, le 45 tours numérique de Michael Jackson, « Billie Jean », contient aussi « Can’t get outta the rain » et est vendu 1,29 € plutôt que 1,98 €. Certains sont même vendus avec le pdf de la pochette originale. On dirait du Monty Python dans le texte.

Le site y va de son commentaire : « l’idée est amusante, mais au-delà de ce petit coup de nostalgie, on retrouve la limitation de l’époque qui était justement qu’on ne pouvait pas choisir le morceau de la face B, généralement un morceau de moindre importance sur l’album. Une impossibilité qui, à l’époque d’iTunes, serait très facile à résoudre. » (source : igeneration.fr)

Tout le cœur du problème est dans cette appréciation. La rentabilité plutôt que la passion, ne garder qu’une sélection élitiste et facile plutôt que creuser et adopter le comportement monomaniaque du fan. Evacuer les fioritures, le non-indispensable alors que c’est souvent là où se définit un groupe. Par là même, on ne garderait des White Stripes que Seven Nation Army en effaçant de la liste tout White Blood Cells dont le son ne se marie pas bien avec le mp3 de son brand new iPod ? Plus généralement, injecter de la nostalgie cheap dans un média futuriste est au mieux une névrose impérialiste du 2.0


Bien sûr, la musique doit se re-inventer, puisqu’elle ne peut plus se calquer sur le modèle économique du 45 tours. Les teenagers écoutent du gratuit et les maisons de disque noient le mainstream et la TV unique de gens choisis sur casting. Une carrière se fait aujourd’hui dans Elle, pas dans le NME. Ce sont donc les labels indépendants qui feront avancer le débat, s’ils survivent.

mardi 12 avril 2011

Google Freaks # 1



Dans cette nouvelle rubrique du blog, j’écrirai un papier inspiré par la plus étrange des recherches Google récentes qui a conduit à ce blog.

Jeudi 7 avril // Dit Quesque il sont hanter les Pink Floyd

T’as complètement raison, internaute décérébré et dyslexique. Et à plus d’un titre.



  • Hantés par un mauvais leader

Pink Floyd semble toujours avoir pâti du leader du moment. Le syndrome perpétuel de « la mauvaise personne au mauvais endroit ».
Syd Barrett s’impose comme le leader logique des débuts du groupe. Il écrit toutes les chansons et a une présence magnétique sur scène. Mais son cerveau est vite cramé par le LSD et il devient un fantôme inconsistant à partir de 1967. Il est remplacé par David Gilmour et un jour, le groupe ne passe simplement pas le chercher chez lui avant un concert. Game over.
Après une période démocratique (la meilleure) où tout le monde a un rôle important dans le processus créatif, Roger Waters s’autoproclame leader. Il est paranoïaque et beaucoup trop pragmatique (oui, bon, terre à terre, ok) pour être psychédélique. Il met le groupe sur la voie des concepts et des structures rigides.
David Gilmour assure le reboot en 1987. Il est propulsé leader car il s’agit avant tout de son projet solo, auquel il rajoute Nick Mason et Richard Wright. Il récupère ainsi le nom Pink Floyd et met un coup de pied dans le conflit juridique qui l’oppose à Waters. Mais voilà, Gilmour était meilleur en tant que lieutenant. Son rôle dans la définition du son était indubitable, mais sa sécheresse chronique de composition a un côté rédhibitoire. Parfois, les gentils ont du mal à exister sans leur némesis.
En creux, comme l’avait souligné le magazine Mojo il y a quelques années, il y a le « what if ? » de Richard Wright. Le dossier, alimenté par plusieurs collaborateurs de l’époque, regrettait que de 1968 à 1973, dans le flou collectif laissé par le départ de Syd Barrett, Richard Wright n’ait jamais pris le rôle de leader. Moteur musical du groupe, Wright semblait être la personne idéale pour remplir la chaise vide de Barrett. Mais sa personnalité effacée et ses problèmes de couple et de drogue dès 1973 l’éloignent d’un rôle important jusqu’à le conduire carrément à la situation humiliante d’être un simple salarié sur la tournée The Wall… Si Wright avait été au volant, on peut penser que Pink Floyd serait resté du bon côté de l’underground et n’aurait jamais opéré de virage « rock de stade ».


Syd Barrett // 1969


  • Hantés par Syd Barrett

5 juin 1975 - Le groupe écrit en studio l’album « Wish You Were Here ». Le titre est de l’ironie vis-à-vis des cartes postales et de cette phrase consacrée. Le disque a pour thème l’absence, et notamment l’aliénation de Syd Barrett. Les autres membres avaient souvent dit qu’il était là sans être là. Essentiel et omniprésent, et complètement absent. Des propos récurrents qui ont mené à ce concept. Un sujet provoqué par la période que traversait le groupe. Après le succès de Dark Side of the Moon, le groupe est vidé et quelque chose s’est cassé. Le groupe entre en studio sans aucune chanson ou idée. C’est sa propre absence que le groupe aborde. Gilmour fait tourner les quatre notes autour desquelles se construira Shine on You Crazy Diamond.
Un gros gars chauve se pointe alors au studio. Un peu de temps se passe avant que les membres du groupe reconnaissent un Syd Barrett désorienté. Conversation décousue et incohérente, il se dit prêt à offrir ses services au groupe puis part sans rien dire. Wish You Were Here. Aucun membre du groupe ne le reverra avant sa mort en 2006.
Outre cette apparition spectrale, Pink Floyd avait mis quatre albums à se remettre de l’influence de Barrett et ce n’est qu’avec Meddle (1971) que les quatre survivants avaient trouvé leur propre style.

Syd Barrett // 1975


  • Hantés par les mauvais choix ?

En mars 1968, Syd Barrett est viré du groupe. Jenner et King, les managers du groupe, rompent leur contrat et suivent Barrett car « c’est lui le génie créatif ».
  • Hantés par les mauvaises chansons

Pour la plupart des gens, Pink Floyd, c’est deux chansons : Money et Another Brick in the Wall (part 2). La première était une mise en abyme de la logique roborative de l’argent. La seconde a été collée et arrangée en studio par le producteur relou Bob Ezrin pour toucher les radios à une époque où le groupe était en danger financièrement.
Ces deux chansons offrent une vision très trompeuse sur l’identité du groupe.
Les chefs d’œuvre de Pink Floyd sont largement méconnus, en revanche : Echoes, Shine on You Crazy Diamond ou Time pour citer les plus évidents.




  • Hantés par leur époque

Le groupe éclot en pleine vague psychédélique et suit l’évolution du style vers le rock progressif. Ils sont prisonniers de cette image chez les gens qui ne les connaissent que de loin. Dark Side of the Moon cristallise les concept albums et installe Roger Waters aux commandes.
En 1977, Animals est un des disques aux propos les plus punks de l’année en Grande-Bretagne : le groupe reprend l’idée de George Orwell dans son livre Animal Farm en résumant la société aux animaux comme les pigs (politiciens), les sheep (le peuple) et les dogs (l’autorité), et n’hésitent pas à s’attaquer directement à des membres du gouvernement qui allait conduire à la décennie Thatcher. Mais les punks ont fait de Pink Floyd l’archétype du groupe à abattre. Personne au bout du fil.
  • Hantés par la pub Gini

1974. Avec dix ans d’avance sur ce type de pratiques, Pink Floyd fait une pub pour le soda. Gros malaise chez les fans, le groupe reverse ses gains à des œuvres de charité. Sévère coup de mou niveau popularité.
Vingt ans plus tard, Volkswagen sortira une Golf Pink Floyd sans aucun commentaire.




  • Hantés par un discours très actuel

En 1974 toujours, la chanson Welcome to the Machine (Wish You Were Here) traite sur le fond et la forme de la déshumanisation de la société et de la musique, donc. La guitare acoustique perce la rythmique industrielle, laissant se profiler un dénouement moral. A l’ère du mp3 et de Lady Gaga, personne ne peut dire qu’il ne comprend pas le truc.
Where have you been?
It's alright we know where you've been.
Le propos est même très intéressant, vu de l’an 10 après le début de la tyrannie du web-mainstream et des forums internet.
Welcome to the machine.
What did you dream?
It's alright we told you what to dream.




  • Hantés par un retour potentiel mais inachevé

2 juillet 2005 : les quatre membres sont de retour pour le Live 8 après vingt ans de conflit juridique. Bob Geldof a du insister mais l’essentiel est là. Regrets sur le passé dans la presse, relations apaisées, regain d’intérêt commercial pour Pink Floyd, chaque musicien laissant planer le doute au fil des interviews. Mais Richard Wright meurt alors que Roger Waters solde ses comptes avec sa comédie musicale sur la Révolution Française … Timing is everything.




And if the cloud bursts, thunder in your ear
You shout and no one seems to hear.
And if the band you're in starts playing different tunes
I'll see you on the dark side of the moon

lundi 11 avril 2011

Look at the book

Voici deux chroniques de livres Camion Blanc que j'ai écrites pour le fanzine Abus Dangereux

Einsturzende Neubauten

Pas de beauté sans danger

Max Dax et Robert Defcon

Camion Blanc


Archétype du groupe obscur pour un nombre considérable de gens, Einsturzende Neubauten est punk dans le sens premier du terme. Ne pas en faire partie. Kein bestandsteil sein. Auto-détermination et opposition permanente. Créer librement, s’exprimer avec des moyens qui leur appartiennent. Faire fi des influences, brûler pour reconstruire. Les nouvelles constructions en train de s’écrouler. Einsturzende Neubauten. Repenser la musique en s’affranchissant des clichés. Pas besoin de bassiste quand on peut taper comme un sourd sur un tuyau en caoutchouc. Franchir les limites, explorer ces zones que notre inconscient a toujours préféré délaisser. Le groupe est en symbiose avec ce Berlin-Ouest emmuré dont il fait partie intégrante, reprenant à son compte tout le matériel urbain et industriel qu’il côtoie dans son environnement. Il y a aussi l’aura dense de Blixa Bargeld qui se fait remarquer par Nick Cave et devient la pièce centrale de ses Bad Seeds.

Le livre est écrit à la manière de Legs McNeil dans Please Kill Me, les deux auteurs s’effaçant complètement derrière les souvenirs des acteurs directs en coupant 49 interviews pour en faire un récit autonome. Une tentative de cartographie des marges. Plus un voyage initiatique qu’une biographie.




Gene Simmons

Kiss sans fard

Camion Blanc


Lire l’histoire de Kiss écrite par Gene Simmons, c’est comme confier la bio de JFK à Lee Harvey Oswald. Les fans du line-up original ne pensent pas que du bien de la dérive commerciale et très rentable qu’a vécu le groupe. A partir de 1979, le boulot de Kiss était de vendre des lunch-boxes et des t-shirts, pas d’écrire des chansons. Le dernier outrage impardonnable en 2002 a été de voler le maquillage des deux membres originaux récalcitrants et de les franchiser, pour mettre un salarié quelconque dessous. Sous ces décisions, un homme : Gene Simmons.

Pour le fan que je suis, le livre se lit donc entre fascination teenager et dégoût contemporain. Le livre n’a pas la prétention de retracer l’histoire de Kiss, il est même décevant à ce point de vue. A partir de 1979 – on est déjà aux ¾ du livre – Gene Simmons se désintéresse du groupe et s’enfonce dans une mégalo terrible. Gene a un fils, Gene fait des films, Gene achète un appart, Gene a une meuf. On y parle beaucoup finance aussi. Mais le gros défaut du livre réside dans l’acharnement bileux de bout en bout sur Ace Frehley. Le guitariste originel était le favori des fans, et a souvent subi les humiliations psychorigides de Simmons quand il était dans le groupe. Il était surtout la signature sonique du métal-bubblegum désuet de Kiss.

On peut en vouloir à ce gars d’avoir confisqué aux kids ce groupe qui avait une âme. Gene Simmons a voulu gérer un groupe de rock outrageux en essayant d’atteindre la respectabilité lisse d’un spectacle de Broadway. Comme il dit quand Bruce Kulick est intégré au groupe, « pour la première fois, la tournée à venir n’occasionnait aucun stress, maintenant qu’Ace et Peter ne faisaient plus partie du groupe ». Apparemment, sur la même période, le stress s’est reporté sur les fans.



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