vendredi 14 décembre 2012

A night with the Hives


Fraîchement arrivé dans les bacs, Lex Hives est le cinquième album des suédois. Retour à la ligne droite après une incursion ratée dans la hype sur The Black and White Album en 2007. Sur scène, des tubes, du punch et toujours autant d’idées: les roadies sont par exemple déguisés en ninjas et arpentent la scène furtivement, en prenant le temps de taper sur une cowbell entre deux interventions sur un câble. Sûrement la plus grande idée 2012. Pelle prend le public en otage, bricole avec les limites de son vocabulaire français et s’est assuré que personne ne reparte en crachant un « c’était mieux avant ».
Interview avec un guitariste élevé dans la tradition Groucho Marx – Nicholaus Arson – et un batteur taillé dans le flanc viking de la Suède, Chris Dangerous.

Crédit photo @ Nicolas Fontas
 
Cinq ans depuis le dernier album, c’est plutôt long par rapport à votre rythme habituel. Il y a même eu une période où les fans ne savaient pas si vous étiez encore ensemble. Qu’est ce qui s’est passé ?
Chris Dangerous : On a tourné pour ‘the Black and White album’ pendant trois ans. On a eu quelques problèmes personnels. Ca nous a obligé à y aller cool pendant un moment. Et on a pris aussi beaucoup de temps pour travailler sur ‘Lex Hives’. Cinq ans, ça fait beaucoup c’est sûr mais – bah – je ne pense pas que quelqu’un ait pu sérieusement pensé qu’on avait splitté. On a l’image d’un de ces groupes qui continue tête baissée sans trop faire attention à tout ce qui se passe autour.


 
C’est quoi le truc avec Lex Hives (NdR : Lex = loi en latin) ? C’est un ensemble de lois que vous avez écrit sur un mur du studio, comme dans le livre Animal Farm de George Orwell ?
Nicholaus Arson : C’est lié à la façon dont on a créé l’album. On s’est conformés à nos lois élémentaires parce qu’on voulait faire le disque le plus Hives possible. Quand on était plus jeunes et qu’on a commencé le groupe, on avait l’habitude de s’interdire certains trucs pour être sûrs de ne pas être des nases. Tout ce qui nous paraissait rédhibitoire dans les chansons des autres. Tout ce qui éloignait ces groupes du cool à nos yeux. C’est le même genre de lois qu’à l’époque, mais je peux te dire que ce sont des lois très changeantes, ah ah. Certains articles ont perdu de leur cool le temps qu’on s’y mette concrètement, il a fallu se faire une raison.
Tu peux donner un exemple de loi, c’est assez obscur vu de loin.
NA : Tu n’es pas autorisé à jouer un beat funky.
Très bonne idée. Lex Hives suit le Black and white album que vous aviez fait avec notamment Pharrell Williams et quelques autres producteurs hype. C’était plus dans l’espoir de capter l’air du temps, plus synthétique que vos autres disques. Je vois vraiment un parallèle avec les paroles de la chanson  Take back your toys qui figure sur le dernier album : « Take back the toys that you gave to me / I never knew what to do with them anyway / (...) I’ll stick to pebbles and boulders and blocks ». (« reprends les jouets que tu m’avais donné, je n’ai jamais su quoi en faire de toute façon, je retourne à mes jouets rudimentaires»)
NA : Ah ah ah. Je suppose que tu peux le voir comme ça oui, mais ce n’était pas le cas. Quand on a fait the Black and White Album, on l’a vraiment pensé en deux parties. Une moitié complètement Hives et l’autre où on essayait de s’en éloigner autant que possible. Selon moi, c’était une démarche nécessaire à l’époque. Il y a un moment où dès que tu commences à jouer quelque chose, ça sonne beaucoup trop comme toi-même. On s’est retrouvés dans une position un peu schizophrène qui consistait à vouloir en priorité martyriser notre propre son. On a eu bien sûr envie de faire des chansons très directes comme Tick Tick Boom mais on tenait vraiment à repenser ce qui était devenu des réflexes. Pharrell Williams ou Timbaland nous ont aidé à aller dans ce sens car ils ne viennent pas de la même culture. On avait besoin d’aller voir plus loin pour revenir à notre son et l’apprécier à nouveau.

Crédit photo @ Wunderstudio
 
Qu’est ce qui vous prend le plus de temps : écrire de nouvelles chansons ou griffonner de nouvelles idées pour les shows ou les uniformes ? Je veux dire : vous êtes réellement des control freaks ?
NA et CD : yeah.
NA : Mais contrairement à ce qu’on peut penser, ces idées nous prennent peu de temps. L’idée des costumes et hauts de forme prend dix secondes pour exister. Bien sûr après, il faut que quelqu’un le fasse, que tu en discutes et accessoirement, que tu alignes des dizaines de milliers d’euros pour qu’ils existent pour de bon, ah ah. Les chansons par contre nous prennent énormément de temps. Ce serait sur ce point qu’on serait les plus control freaks. Ca nous prend des siècles. Pour Veni Vidi Vicious, je me rappelle qu’on a travaillé sur une seule chanson pendant un an et demi. Quand on est entré en studio, on avait seulement quatre chansons et on s’est dit ’wow’. Ne t’étonne pas qu’on ait jamais dépassé les douze chansons par album dans ces conditions, ah ah. Les deux derniers albums sont les seuls pour lesquels on a enregistré plus de chansons qu’on en a mis sur le disque. Sinon on sélectionne en aval, on n’enregistre que ce dont on est absolument sûrs.
Est-ce que ce genre de concept global est plus difficile à véhiculer aujourd’hui avec l’ère de la musique digitale et du coup, la disparition du pack pochette/livret ?
CD : On pense encore des disques selon le schéma traditionnel. On met pas mal d’énergie dans le livret et la pochette d’ailleurs. C’est mieux sur vinyl c’est vrai, mais quand tu achètes de la musique digitale, tu as en général aussi les fichiers des visuels. Ca s’améliore un peu à ce niveau-là. On pense surtout au concret, c’est certain.
NA : Le mp3 a rédéfini la façon d’écouter la musique. Tu écoutes les albums différemment. Tu gardes souvent une seule chanson sur ton lecteur, peut-être deux. On a rien contre ça, j’ai toujours aimé les 45 tours et c’est probablement la même logique. On pense nos disques en tant qu’albums, que recueils homogènes de chansons, mais ils peuvent aussi être vus comme un assemblage de plusieurs 45 tours. Les Rolling Stones sortaient des 45 tours dans les années 60, et quand ils avaient sorti assez de chansons, ils collaient tous ces singles sur un album. Les mêmes chansons. Une compilation en quelque sorte. J’aime penser qu’on réfléchit des deux façons à la fois. 

Crédit photo @ Nicolas Fontas

 
Vous vous sentez plus en sécurité avec des ninjas sur scène ?
NA : En fait, parfois, c’est plutôt flippant. Hier soir, j’étais dans un coin sombre et je me suis retrouvé face à deux yeux qui me fixaient.
CD : Un de ces mecs est avec nous depuis 12 ans. Ca me suffit pour me sentir en sécurité.
J’espère que vous n’êtes pas en train de me dire que ce ne sont pas de vrais ninjas.
NA : Non, mais ils pourraient t’apprendre deux ou trois trucs, ils y prennent goût.
 Vous en doutez depuis l’intro mais sur cette vidéo, on voit clairement un ninja taper sur une cowbell.
Vous avez toujours réussi à rester marrants sans tomber dans le burlesque ou devenir un comedy band. C’est difficile sur la durée ?
CD : Quand tu écoutes les chansons, tu sens que c’est plus que ça. On ne cherche pas à être drôles en priorité. Ca vient plus tard, parce quand on répète ou qu’on enregistre, c’est si dramatiquement sérieux. Je pense que c’est notre patte perso, de savoir allier les deux naturellement à la fin du processus.
NA : Ce qui tient le truc, c’est la qualité des chansons. Si les gens nous trouvent convaincants et qu’on les fait rire, tant mieux, mais si les chansons étaient ridicules, le reste ne tiendrait pas : on nous prendrait pour des guignols et ça semblerait un peu pathétique.
D’habitude, quand il y a deux frères dans un groupe (NdR : Nicholaus Arson est le frère du chanteur Pelle Almqvist), ils tentent de s’entretuer à un moment donné. Jesus and Mary Chain, les Kinks, Oasis ... Vous gérez plutôt bien le problème depuis le début.
NA : On se battait davantage quand on était jeunes. Depuis qu’on est dans les Hives, on a du arrêter ce genre de conflits car il y a d’autres personnes en jeu, c’est contre-productif. La recette est souvent la même en effet : les gars s’opposent, le groupe se sépare. Donc on s’arrange : quand Pelle va dans un sens, je pars en général à l’opposé et tout est ok.

Crédit photo @ Nicolas Fontas
 
Quelle est la meilleure chanson qu’auraient pu écrire les Hives mais qui a été écrite par un autre groupe ?
CD : On a sorti un EP avec des reprises totalement dans cet esprit-là, ‘Tarred and Feathered (NdR : 2010). Il y a des chansons de Joy Rider and Avis Davis, des Zero Boys et de Flash and the Pans.
NA : Sinon, ce serait probablement une chanson des Misfits. J’aurais adoré écrire une chanson comme ‘Skulls’. Ah non, ‘Bullet’, voilà. J’aurais adoré écrire ‘Bullet’.
CD : Pour moi, ce serait sans aucun doute ‘Moon over Marin’ des Dead Kennedys.



 
Vous êtes arrivés sur le devant de la scène pendant le revival rock du début des années 2000. Maintenant il n’y a plus tant de rock que ça. L’electro est le truc principal. Vous vous sentez parfois isolés ?
NA : Pas vraiment. Quand on a formé le groupe au milieu des 90s, tous les groupes qu’on aimait étaient underground et existaient à une échelle modeste. On a longtemps pensé qu’on vivrait la même chose. On s’en sort bien mais s’il fallait revenir à un format plus rugueux, on le ferait sans problème. Je ne sais pas à quel niveau fixer la consécration. Est-ce que c’est juste de dire que le meilleur groupe punk est celui qui a eu du succès et fait le break vers le mainstream ? C’est mieux de pouvoir trouver tes disques partout, ça permet de toucher plus de gens, mais est-ce que tu gardes ton âme underground à ce moment-là ? C’est une question très complexe. Le plus important c’est de sentir qu’on n’a pas changé, finalement.