vendredi 20 mars 2015

Tout ce qui brille n’est pas de l’or


Y a-t-il une forme de yoga qui permet d’appréhender sereinement les gens qui filment les concerts avec leur portable?

Indianapolis. 2012. Bruce Dickinson d’Iron Maiden salade un gars absorbé par son portable et c’est immortalisé sur une vidéo largement diffusée sur le web: « Ah, for fucks sake, the guy with the bald head and the white shirt, you've been texting for the last fucking three songs. You're a wanker ! » 

colonne parue dans Abus Dangereux # 135 



Enorme concert. Tu as acheté ta place un an à l’avance. Ton amour du groupe vient d’être évalué à environ 75€, c’est en tout cas ce qu’indique le bout de papier. Tu révises en faisant tourner en boucle la discographie entière du bordel pendant des semaines. Tu arrives à l’avance avec l’excitation de ton premier Noël. Tu es à 40 bons mètres de la scène. Et ce que tu vois principalement, c’est une forêt d’écrans de smartphones. Pas besoin d’avoir forcément expérimenté le phénomène sur place, ils sont maintenant visibles même sur les DVDs lives. Chacun filme son concert. Comme pour poinçonner l’événement, dire « j’y étais ». Pur individualisme alors que ce genre d’événement a toujours été une question de communauté culturelle.  « Regarde ce que je vis ». Well, tu ne le vis pas terriblement, puisque tu fixes ton écran exactement comme si tu lisais ton horoscope le matin dans le métro. Voilà. Ce gars qui prend le concert en photo est l’équivalent de ce moustique qui veut absolument ta ruine dans l’obscurité d’une nuit d’été. Il est bien seul mais il est partout. Ta némésis. C’est difficile de savoir si oui ou non, ce père de famille va réunir tous ses kids à Noël devant l’écran pour leur montrer cette vidéo tremblotante avec un délicat « SCHHRRRR » en guise de son HD. Et puis si c’est le problème, on peut très bien raconter à ses potes qu’on a assisté à un super concert sans pour autant faire chier tout le monde. Right ? Non, il faut une preuve. C’est une tendance qui se développe ces dernières années : payer un billet au prix exponentiel pour brandir juste un excluant et péremptoire « j’y étais/toi pas ». La photo de concert est devenu le but ultime, au-dessus du show. Un avatar de réseau social. Mais qui a une vraie discussion après ? C’était juste « super ». Beh ouais, parce qu’on y était. Mais quand les gens allaient régulièrement voir des concerts, il y avait une discussion critique, du fonds, un échange. Ce n’était pas une vitrine sociale, une gloire solo. Finalement, c’est un peu devenu l’équivalent des files d’attente d’une semaine pour voir un nouveau Star Wars. Le comportement clientéliste s’est emparé de la performance live et ça revient à faire des artistes des singes savants qu’on paie grassement pour s’ébrouer sur une estrade. Bref, c’est comme un selfie devant la Tour Eiffel, quoi. L’ego au même niveau que la postérité. R.I.P. l’identification et les rêves teenagers.






Car si les smartphones sont la partie émergée de l’iceberg, c’est en fait le public entier qui a brutalement changé. Le public de départ – et on ne parle pas du sacro-saint « avant » mais bien du concept initial – avait la « chance » de vivre l’événement, et en faisait un package qui correspondait à son attrait global pour le groupe. Ce qu’il ressentait en changeant la face du nouveau disque. Ce qui le faisait lire une interview dans un magazine. Tout est dû, pour ce nouveau public. Un concert, c’est simplement le SAV de leur dépense stricte en CD et en ticket. Un peu comme quand un touriste se comporte comme un connard dans l’avion parce qu’il a mis une bonne partie de ses économies dans le voyage. « C’est toute le société qui est en fait shootée à la technologie », dit le cool Ian MacKaye (Minor Threat, Fugazi, label Dischord). Il cite une récente recherche psychologique qui a découvert que texter ou tweeter déclenche la production de dopamine dans le cerveau. Il s’oppose clairement aux portables pendant les concerts pour une raison un peu différente. Selon lui, les fans se tirent une balle dans le pied parce que l’énergie des shows est toujours venue davantage du public que du groupe sur scène. « J’aimerais que le public retrouve un sens des responsabilités dans sa participation au concert. Pas une responsabilité vis à vis du groupe, mais une responsabilité vis à vis de lui-même. » Ca rappelle la discussion d’un couple de japonais fan d’Elvis dans le film de Jim Jarmusch, Mystery Train. « Pourquoi tu ne prends en photo que les chambres d’hôtel ? » - « parce que le reste je m’en souviens. Les chambres d’hôtel, je les oublie ».





On n’est même pas dans le topo de l’enregistrement illégal, comme on a pu traîter les bootlegs jusqu’à l’explosion du chargement internet à grande échelle. On vit une phase où l’auto-régulation des moeurs n’a pas pu suivre l’évolution de la technologie. Probablement qu’on ne supporte plus l’ennui ou une forme de passivité. De vivre un événement s’il ne le documente pas sur les réseaux sociaux. 90 minutes debout à un concert n’est plus compatible avec notre cyber-époque, qui injecte à tous un grave trouble de la concentration. Ou une désaccoutumance à la tâche unique. Une époque 2.0 qui préfère l’ubiquité au «ici et maintenant».
Les solutions ? Elles pourraient venir du smartphone lui-même. Déjà, parce que certains labels y voient à l’inverse une démocratisation et pensent créer des sites internet qui rassembleraient ces vidéos de fans avec une prise de son décente, directement de la console. Mais aussi, parce que le problème a généré des idées. Il y a l’appli Kimd qui s’adresse aux fans qui veulent filmer le concert mais qui ont conscience que leur comportement peut être génant. Kimd neutralise le flash et éteint l’écran dès que l’enregistrement commence. De l’autre côté du spectre de la discrétion, Dan Deacon propose à chacun de ses concerts de télécharger une appli gratuite pour que les téléphones réagissent à la musique et crée des flashs stroboscopiques. Faire du téléphone un outil communautaire, un acteur du show. Pour mieux ne pas s’en servir, aussi. En partenariat avec certaines salles américaines, la marque Yondr – elle – fournit à chaque possesseur de smartphone un étui qui se scelle une fois dans la salle. Il est apparu que dans ces cas là, ceux qui faisaient entrer leur bordel dans le slip se faisaient bien reprendre par le reste du public.

Bref, on peut jongler avec ce fléau, mais comme Jem Finer des Pogues le résume très bien : "on ne peut pas vivre l'expérience d'un live sans y être". La sentence semble viser autant ceux qui font les vidéos tremblotantes que ceux qui les regardent sur YouTube.



vendredi 13 mars 2015

Turbonegro must be destroyed

Once Upon a Fan


 “A hero is a goddam stupid thing to have in the first place and a general block to anything you might wanta accomplish on your own.” Dans les 70s, Lester Bangs a injecté un principe crucial dans la journalisme rock, le principe en fait normal du « une vraie personne parle à une autre vraie personne » dans les interviews. Mais (mal) exploité par d’autres plus tard, ça a donné le gonzo et ça a mené à sa perte toute l’écriture des blogs en en faisant une masse totalement indigeste de « je suis le sujet important de mon propre article ». Le très insupportable Me, myself and I malsain et mal maîtrisé. Bangs a aussi eu à coeur au fil de sa carrière de malmener particulièrement les artistes dont il était le plus fan. Ses entretiens avec son héros Lou Reed ont souvent été près de se finir en baston bien nerveuse.
Je suis parti sur la même ligne de conduite, ne pas être complaisant avec les groupes dont je suis fan. Je fais partie de la turbojugend, le fan-club de Turbonegro, et je porte ma veste en jean très reconnaissable un peu partout sur les festivals. Alors quand j’arrive face à ces deux mecs cools, un pince sans rire vraiment classe et le dernier guitar hero du rock modeste et quasi-muet, et qu’ils me voient avec ça sur le dos, je ne m’attends pas à ce qu’ils se disent quoi que ce soit d’autre que « allez, encore un fan-boy. Classique. Les doigts dans le nez.» Ce n’est pas envisageable,. Le but n’était pas de les mettre en colère non plus, gratuitement, mais de les pousser dans les vrais problèmes et qu’ils convainquent le public en réagissant à la cool. Je m’en veux un peu mais ...  je préfère mon éthique à une quelconque réciprocité de l’amour que je peux porter à un groupe. 
Interview publiée dans Abus Dangereux # 134


 
Vous êtes sur une activité en pointillé actuellement, pas vraiment en tournée mais ... (il coupe)
Rune : oui, on fait juste des festivals cet été.
C’est dommage car vous sortez de l’underground et des clubs et il n’y a plus beaucoup d’opportunités de vous voir dans ces conditions.
Euroboy : Mm, c’est juste ton opinion, juste ton opinion.
Rune : On ne fait pas ce genre de distinction entre clubs et festivals.
Sur votre compte Instagram, on vous voit pas mal en studio en ce moment. Vous enregistrez le nouvel album ?
Rune : on écrit de nouvelles chansons.
Euroboy : oui, on bosse sur quelques trucs mais ce ne devrait être qu’un single pour la fin d’année. Rien de construit.


Parce que du coup, en postant ces photos, vous avez alimenté l’auto-rumeur comme quoi vous bossiez sur un  album, sans le vouloir. Vous prenez votre temps. Avec du recul d’ailleurs, est-ce que vous pensez que vous ne vous êtes pas trop précipités quand Sexual Harassment est sorti très vite après la présentation de Tony (NdR : Sylvester, le chanteur qui a remplacé Hank Von Helvete), avant même de s’être fait la main sur les festivals d’été à l’époque ?
Euroboy : Euuuuh ...
Rune : je pense au contraire que c’était le timing parfait.
Euroboy : Il a atteint la première place dans les charts en Norvège, et je pense qu’on a fait des shows plutôt solides sur cette tournée. Même aux Etats-Unis. Je trouve que tout ce qui a entouré cet album a été un grand succès, au contraire.
Je ne parlais pas des ventes, mais de la qualité et l’homogénéité de l’album en comparaison avec les disques précédents. On sent qu’il y a de bons trucs mais que ça a peut-être été un peu trop vite. Comme pour rassurer les fans après une période de flou. Je dis simplement que ça aurait pu être un album différent si vous aviez attendu que Tony prenne ses marques sur la route.
Euroboy : je crois que tu te plantes. Ca faisait 4 ou 5 ans depuis le dernier disque et on a écrit ces morceaux depuis, ils n’étaient pas exactement frais. Des morceaux comme « You give me worms » ou « Dude without a face » ont été écrit pendant que Retox sortait. On a même des démos de ces chansons avec Nick Oliveri au chant.
Sexual Harrasment sonnait très Ass Cobra, très punk. Principalement à cause de la voix de Tony.
Rune : oui, un retour aux sources, il avait été en grande partie enregistré live en studio.
Euroboy : qu’est ce que tu veux dire par là ? « Principalement à cause de la voix de Tony » ?
Que la voix de Tony est très rêche et brute. Et que ça mène naturellement à ce que les compos sonnent comme quand vous étiez dans les années Ass Cobra avec un punk qui s’apparente plus à un bourre-pif.
Euroboy : je crois que ça n’a rien à voir. Ce disque a été enregistré avec un producteur, dans un studio confortable à New York, et les chansons ont été longuement répétées, sont mieux écrites. C’est un album bien plus professionnel.
Rune : Ass Cobra s’apparente juste à une compilation de singles punk qu’on jouait à l’époque.


 
Les morceaux que vous êtes en train d’écrire vont dans cette même direction ?
Euroboy : Ca va être plutôt différent. Très mainstream, plutôt commercial, on vise le passage radio.
Non, mais sans déconner.
Euroboy : personne ne déconne ici.
Bah, même les Minutemen l’ont fait sur Project : merch. Ce n’est pas si grave.
Rune : j’adore cet album.
C’est dur pour vous de vous placer des fois, uh ? Vous êtes trop punks pour le public métal, trop heavy metal pour le public punk, trop classic rock pour l’underground, trop underground pour le mainstream.
Rune : je pense qu’on est ok là où on est.
Euroboy : on est un groupe qui a un sens du passé rock. Si tu as des références, tu vas entendre beaucoup d’échos et d’hommages dans ce qu’on fait. Iggy Pop, les Rolling Stones ou les Ramones. Il y a aussi des éléments plus provocateurs de la culture gay avec beaucoup d’éléments glam rock aussi. On est ancrés dans le rock scandinave aussi, on peut difficilement se départir de l’association au black metal. On a pas mal de cordes à nos arcs, je crois que beaucoup de gens peuvent se sentir concernés par ce qu’on fait, au contraire. On peut jouer dans n’importe quel festival sans se sentir à côté de la plaque.
Très cool. Et qu’est ce qui se passe avec Pal Pot Pamparius ? Il va rejoindre le groupe à un moment ou il est parti pour toujours ? Parce que selon moi, il est le vrai élément manquant de la formule actuelle, bien plus que Hank que la majorité des fans préfère pleurer.
Rune : Mm non, je ne pense pas qu’il revienne dans le groupe. On est bons amis, mais il a d’autres priorités maintenant.
Merci les mecs, c’était sympa. On peut faire une photo quand même ?
(long silence) (visages crispés)



A lire absolument en bonus, le très cool papier de Noisey Vice sur les Turbojugends, mitonné au Hellfest 2014 >> Turbojugend Rising.