samedi 1 août 2015

Honey, I’m Home !!


C’est dur de se faire une place quand on est une femme dans ce ghetto parfois misogyne qu’est le rock à guitare. Il faut être deux fois meilleure. Si un groupe de mecs fait dans la pose et le cliché, c’est ok, on l’ignore. Si c’est un gang de filles, tout le monde crie à l’incompétence. Well. La question est celle-ci : combien d’artistes majeurs a-t-on loupé juste parce que c’étaient des femmes ? A quel point ces filles auraient été des légendes si elles avaient été des mecs ? 

Ok les kids, n’inondez pas le courrier des lecteurs. Ce n’est ni un Top 5 au mérite, ni une liste exhaustive. C’est juste un amas de meufs à qui on n’a pas filé assez de crédit. Plusieurs aspects de l’existence de la fille dans la jungle paternaliste qu’est le rock. Plusieurs de ces moments où une fille a changé la suite de l’histoire, aussi.
colonne publiée dans Abus Dangereux # 136 - juillet 2015


Sister Rosetta Tharpe

« the original soul sister ». Rosie chante du gospel reconditionné selon son caractère perso. En 1944, elle fait le crossover décisif et enregistre strange things happening every day, seule avec sa voix et une guitare électrique. L’establishment religieux ne la cautionne pas, les adolescents oui. Le début d’une longue histoire pour la musique de ce type. Sa caution rock aussi. De leur propre aveu, elle a influencé ceux sur lesquels on fixe l’année zéro du rock : Little Richard, Johnny Cash, Elvis Presley et Chuck Berry. Un précurseur chez les pionniers, quoi.


 


Sylvia Robinson
Virgina Woolf disait : « au cours de l’Histoire, ‘anonyme’ a toujours désigné un effort féminin ». Sylvia Robinson a produit le premier hit de rap : rapper’s delight de Sugarhill Gang. Huit millions de copies vendues. Elle a inspiré des millions de plus qui ont imité ses choix, puisque le hip-hop a longtemps tenu sur cette recette précise. Elle a ensuite co-écrit the message de Grandmaster Flash. Pour rigoler.



Kim Gordon
La détermination sous forme de normalisation. Car Kim Gordon n’est pas une « fille », c’est juste un membre de Sonic Youth comme les autres. Ca paraît être un constat à la limite du stupide en 2015, mais en 1981, c’était la première. Kim n’était ni la star glamour mise en avant par la promo, ni une groupie cantonnée à l’ombre. 



Yoko Ono

L’archétype de la personne qui cristallise un problème, même faux, et qui ne finit plus par représenter que ça. Yoko Ono est la femme qui est venue mettre le bordel dans un groupe. Le groupe en question était légendaire, l’exposition du problème a donc été optimale. Et c’est ensuite devenu une légende urbaine, une brique à part entière de l’Histoire du Rock. Courtney Love a pris sa place dans l’imaginaire collectif dans les 90s, dans le même schéma surexposé. On peut penser que les Beatles étaient juste rincés. Comme l’était Nirvana, qui reposait sur trois slackers qui ne demandaient qu’à jongler entre ironie et anonymat underground. La théorie de la mante religieuse a permis de faire un autre constat : il est aussi difficile pour les filles de se faire une place dans la presse musicale que dans le rock. Du coup, qui se souvient de l’apport avant-garde de l’artiste Yoko Ono ?




 
Dusty Springfield

Quand Dusty Springfield enregistre sa référence Dusty in Memphis en 1968, elle n’avait jamais enregistré avec un producteur extérieur, Jerry Wexler imposé ici par Atlantic. Elle a alors longtemps été traité de femme caractérielle, mais lui raconte une toute autre version dans son autobiographie Rhythm and Blues : « je n’avais jamais travaillé avec quelqu’un qui était autant à la recherche de la perfection. Les sessions ont été un vrai challenge pour moi. J’avais commencé à travailler sur les morceaux. Dusty en a approuvé exactement zéro. Pour elle, dire oui à la fin d’une chanson était vu avec l’intensité d’un engagement à vie. » Dusty Springfield avait autoproduit avec succès tous ses disques précédents, ce pour quoi elle n’avait jamais demandé aucun crédit, mais ce qui est notable dans le contexte. Elle qui venait d’une famille très catholique de Grande-Bretagne (son vrai nom est ostentatoire : Mary Isobel Catherine Bernadette O’Brien) a fait son coming out après avoir gagné le très difficile marché US. Elle a aussi suggéré à Atlantic de signer Led Zeppelin. Le label n’en avait jamais entendu parler et les a signé sans jamais les voir ni les écouter, simplement sur l’avis de Dusty Springfield.  C’est ce que j’appelle gagner sa crédibilité. 


 
L7

Festival de Reading, 1992. Donita Sparks du groupe L7 balance son tampon hygiénique dans la foule en réponse aux projectiles que le public envoyait sur le groupe. Le magazine Spinner a élu ce moment « L’anecdote la plus dégoûtante de l'Histoire du rock ». En 1995, pendant Nulle Part Ailleurs et en direct sur Canal +, c’est Jennifer Finch qui essaie de détruire à la fois le plateau, le glamour du Festival de Cannes et la tiédeur des mecs qui pensaient être underground mais qui aimaient surtout la playlist RTL2. Probablement le live le plus décadent de l’histoire de la télé française.


The Blossoms
En 1962, les Crystals sont les égéries du producteur Phil Spector. Ce dernier, en visite dans les bureaux de Liberty Records, entend une chanson déjà promise à Snuff Garrett, qui veut la faire enregistrer par Vikki Carr. Phil Spector s'empresse de rentrer à Los Angeles pour sortir le single avant celui de Vikki Carr. Seulement, les Crystals sont en tournée sur la côte est. Spector embauche alors les Blossoms, un groupe de choristes souvent utilisés par les grands groupes sur scène ou en studio, pour se substituer aux vraies Crystals le temps du disque. Dès sa sortie le disque est propulsé numéro un, et les vraies Crystals découvrent bouche bée "leur" nouveau single à la radio. Surtout le groupe a du ajouter tout de suite la chanson à son répertoire sur scène. Le problème étant que la chanteuse lead, Barbara Alston, ne pouvait pas imiter le chant habité de la blossom Darlene Love. La chanson He's a rebel est aujourd'hui citée comme exemple des productions féminines de Phil Spector. Les Blossoms, elles, ont été défrayées comme des musiciens de studio. Darlene Love a bien essayé de faire valoir ses droits par la suite, mais Spector a toujours répondu: "C'est ma musique, vous n'êtes rien sans moi." Les Blossoms sont quand même passées à la postérité puisqu'elles figurent comme choeurs dans le célèbre '68 Comeback Special qu'Elvis Presley avait enregistré pour la NBC.

 

Jayne County
« Are you man enough to be a woman ? » chantait Wayne/Jayne.  Après avoir été actrice à la Factory d’Andy Warhol, il/elle participe en 1969 aux émeutes de Stonewall à Greenwich Village, protestant contre la violence policière à l’encontre des gays. L’événement est souvent perçu comme le point de départ de la libération homosexuelle et du mouvement moderne aux US. Il/elle crée ensuite Wayne County and the Electric Chairs et influence la scène punk de 1975 à New York, des Ramones à Patti Smith, ou des mecs au radar bien affuté, comme David Bowie ou Lou Reed. Il/elle assume finalement sa transsexualité et change son nom définitivement en Jayne. Ce qui ne l’empêche pas de se battre sur la scène du CBGB avec Dick Manitoba, ex-catcheur et chanteur des Dictators.